Raqqa, territoires et pratiques sociales d'une ville syrienne
By Myriam Ababsa
- Release Date: 2010-09-20
- Genre: Economics
Étoile du Croissant fertile située sur l’Euphrate à deux cents kilomètres à l’Est d’Alep, Raqqa est une ville de contact entre le monde des pasteurs nomades, le monde des sédentaires et celui des citadins. Sixième ville de Syrie en 2009, avec environ 250 000 habitants, son essor fut considérable au début des années 1970 en tant que centre administratif du Projet de l’Euphrate, qui fut le principal projet de développement de la Syrie baathiste pendant vingt ans. Trois barrages, une ville nouvelle et quinze fermes d’État furent construits, drainant vers le gouvernorat de Raqqa des milliers de fonctionnaires, d’ouvriers et d’ingénieurs, syriens et étrangers, qui y introduisirent de nouvelles pratiques sociales. Dans le même temps, Raqqa fut transformée en vitrine du développement urbain baathiste avec places de parades, jardins, bâtiments officiels, statues et rhétorique célébrant le renouveau de la gloire abbasside de cette ville qui fut la capitale éphémère du calife Haroun al-Rachid. Le double essor administratif et démographique de Raqqa a profondément modifié les rapports de pouvoir entre les membres des anciennes familles citadines, les fonctionnaires issus des anciennes tribus semi-nomades, et les groupes de migrants nouvellement installés dans la ville. Une véritable revanche sociale s’est produite au profit de petits propriétaires devenus membres du Parti Baath qui ont eu accès aux principaux postes administratifs du gouvernorat. Mais les anciens citadins ont pu conserver les bases de leur pouvoir économique, tout en déployant leurs propres discours identitaires autonomes et leurs pratiques de sociabilité spécifiques (réunion en madâfa, visite aux tombeaux des saints de la ville bien que ces derniers aient été transformés en mausolées chiites). Raqqa constitue ainsi un poste idéal d’observation des mutations de la Syrie contemporaine du fait de l’ampleur des bouleversements qu’elle a connus depuis un demi-siècle, et qui s’accélèrent avec les réformes introduites par le nouveau président syrien à partir de 2000 (démantèlement des fermes d’État, encouragement à l’investissement étranger), qui visent à faire du Nord-Est syrien un nouvel eldorado du développement privé.